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Sonnets de Sri Aurobindo

traduits par Saraswati (H.Champaloux)

Maintenant je suis né

Maintenant j'ai enfanté Ta présence et Ta lumière,
L'éternité m'absorbe et je suis
Une vastitude de tranquillité et de flamme,
Mon coeur un Atlantique profond de délices.
Ma vie est un instant ému de Ta douceur
Portant l'oriflamme sacré de Ta vision
Gravé avec la blanche gloire de Ton nom
Dans le silence non né de l'Infini.

Mon corps est une jarre de paix radiante,
Les jours, une ligne à travers mon intemporalité,
Mon esprit est fait d'un souffle muét de Toi,
Une lyre de silence et une lumineuse mer;
Déjà dans chaque cellule je sens l'étreinte de Ton feu,
Un brasier des sept extases.

L'Unité de la Vie

J'ai hébergé dans mon coeur la vie des choses,
Tous les coeurs palpitant dans le monde je les sentais miens;
J'ai partagé la joie qui chante dans la création
Et bu sa tristesse comme un vin poignant.

J'ai senti la colère dans une autre poitrine,
Toutes les passions ont répandu leurs vagues dans mon monde intérieur;
J'ai partagé un amour exprimé dans un milion de coeurs.
Je suis la bête que l'homme tue, la bête qu'il sauve.

Je déploie les ailes brulantes de la vie de béatitude et de douleur;
Le feu noir et le feu d'or luttent vers une seule félicité:
Je m'élève par eux vers un céleste plan
De pouvoir et d'amour et d'extases immortelles.

Un profond calme spirituel qu'aucun toucher ne peut altérer
Soutient le mystère de ce jeu Passionné.

L'universel dévoilé.

Je contiens le vaste monde dans l'embrassement de mon âme:
En moi brulent Acturus et Belphegor.
Me tournant vers une autre forme de vie
Je vois mon propre corps avec une autre face.

Tous les yeux qui me regardent sont mes propres yeux;
Le coeur unique qui bat dans toutes les poitrines est mien.
Le bonheur du monde coule comme en moi comme du vin,
Ses millions de chagrins sont mes agonies.

Alors que tous ce faits sont des vagues qui passent
Sur ma surface; intérieurement pour toujours calme,
Non né je suis, hors du temps, intangible;
Toutes choses sont des ombres dans mon miroir tranquille.

Ma vaste transcendance contient la roue cosmique;
Je suis caché en elle tel une perle dans la mer.

Sens Divin

Assuremment je ne prends plus de terrestre nourriture
Mais je mange les fruits et les plantes du paradis
Car tu as changé de mes sens l'habitude
Du plaisir mortel à la surprise divine.

L'écoute et la vision sont maintenant une extase,
Et toutes les senteurs de la terre révèlent
Une douceur égale en intensité
A la senteur de la pourpre merveille de la rose.

Dans chaque profond frisson envahissant de ton contact,
Qui dure comme si sa source était infinie,
Je sens ton toucher; Ta grâce impérissable
Est emportée dans cet instant de délices.

Le corps brule avec le feu sacré de ton extase,
Pur, passionné, saint, vierge de désir.

L'Hôte

J'ai découvert mon être profond impérissable;
Masqué par la façade de mon mental, immense, serein,
Il va à la rencontre du monde avec une vision d'Immortel,
Un dieu-spectateur de la scène humaine.

Aucune douleur ou chagrin du coeur et de la chair
Ne peut atteindre ce pur et silencieux sanctuaire.
Danger et peur, chiens de la Fatalité regagnant leur liberté
Déchirent corps et nerfs, - l'Esprit intemporel est libre.

Eveillé, le rayon et témoin de Dieu dans ma poitrine,
Dans l'immortelle substance de mon âme,
Tel une flamme, impénétrable l'Hôte tout puissant.
La mort s'approche plus près et la Destinée prend son octroi;

Il entend les coups qui fracassent la demeure de la Nature:
Il est calme, formidable, lumineux.

J'ai un doute (poème de jeunesse)

J'ai un doute, J'ai un doute qui tue.
Dis-moi, O beauté torturante, O divine
Sorcière, O âme échapée des collines du ciel
Pourtant nourrie d'étrange pâture des plus grands péchés.
Pourquoi dois-tu me torturer? Ne crains-tu rien?
Mon amour toujours était comme ma haine une épée
Pour chercher le coeur et tuer, quoique précieuse,
La joie que son son maître ne voudrait pas me laisser posséder.
Cependant dois-je encore croire que tu est sincère
Si tu le dis et souris. Ne te connaissant pas encore
J'ai acquis avec ma passion la totalité de toi
Et tu veux garder un recoin pour d'autres hommes?
Nie le maintenant! Ne laisse pas le début du doux amour
Finir dans le rouge sang et la redoutable justice acomplie.